Gertrude Néron (1919–1999)
Artiste multidisciplinaire, elle a marqué le Québec par son approche audacieuse et élargie du design. Diplômée de l’École des beaux-arts de Québec et en décoration d’intérieur, elle a su faire dialoguer les arts visuels, la mode et le design d’intérieur dans une pratique artistique cohérente, originale et profondément influente. Membre de la Société des décorateurs ensembliers du Québec, elle s’est imposée comme une figure respectée dans le milieu québécois du design.
Son parcours de formation, rigoureux et complet, commence aux beaux-arts, où elle acquiert une solide maîtrise du dessin, de la composition, du volume et des matériaux — des fondements essentiels à toute pratique en aménagement intérieur. Ce bagage artistique, profondément ancré dans sa démarche, l’amène ensuite à obtenir le diplôme de décoratrice-ensemblière, consolidant ainsi sa volonté de faire du design un art de vivre. Elle affirmera plus tard que son passage aux beaux-arts l’a « formée comme une artiste complète », capable de naviguer librement entre les disciplines.
Son excellence académique est soulignée dès cette période : elle reçoit le prix de la meilleure moyenne générale de l’École des beaux-arts, une distinction prestigieuse remise en personne par Louis Mulligan, figure influente du design québécois. Ce prix vient confirmer son talent exceptionnel et poser les bases d’une carrière prometteuse.
Animée dès le départ par le désir de se rapprocher du monde de l’architecture, elle sait que ce rêve demandera du temps, de l’expérience et des moyens. Pour soutenir le développement de sa carrière, elle travaille comme décoratrice à Québec et à Chicoutimi, où elle affine une expertise recherchée en mobilier et en aménagement d’espaces. Elle conçoit des meubles et des accessoires du quotidien auxquels elle insuffle une dimension artistique singulière. Observatrice attentive de la nature, elle en transpose les couleurs, les textures et les rythmes dans des compositions chaleureuses et raffinées. On dit qu’elle a des doigts de fée, tant ses créations marient avec justesse précision technique et sensibilité esthétique. Elle imagine et dessine des modèles originaux, adaptés aux besoins spécifiques de sa clientèle, dans une approche toujours guidée par l’équilibre et la beauté.
À Paris, elle ouvre un atelier où elle conçoit des chapeaux illusion, véritables sculptures portables qui brouillent la frontière entre accessoire de mode et œuvre d’art. Présentés dans les salons de la maison Carven, ses chapeaux sont célébrés pour leur légèreté, leur architecture audacieuse et leur inventivité formelle. Ils traduisent un esprit de composition spatiale tout à fait voisin de celui du design d’intérieur, où équilibre, lumière et structure sont primordiaux. Ces créations seront d’ailleurs exposées à l’Expo 67, dans les pavillons du Québec et du Canada, confirmant leur rayonnement international.
Gertrude Néron est aussi reconnue pour ses œuvres picturales abstraites, où l’on retrouve des thèmes récurrents comme les aurores boréales et les oiseaux, toujours empreints d’une grande musicalité. Elle peignait « au son de la musique », traduisant son sens aigu de l’ambiance et de la sensorialité – des qualités également essentielles en aménagement d’espaces.
De retour au Québec après un parcours international, elle s’engage activement dans sa communauté, notamment par l’enseignement dans des centres culturels et communautaires. Son implication dans la SDEQ témoigne de son attachement à la profession et de sa volonté de faire progresser le métier de décorateur-ensemblier vers une vision plus artistique, plus libre et plus transversale.
Gertrude Néron a contribué à élargir la définition du design d’intérieur au Québec, en démontrant que les disciplines artistiques pouvaient nourrir une approche plus sensible, inventive et ancrée dans la culture. Son héritage inspire encore aujourd’hui les designers qui croient à une pratique ouverte, audacieuse et multidimensionnelle.
Recherche et rédaction : Léon Champagne
Révision : Marie-Claude Parenteau-Lebeuf